Sep2008

Sensibilisation culturelle

UNE SENSIBILISATION CULTURELLE ET ARTISTIQUE PAR « LE FAIRE »
Rachel Tanguy, coordinatrice pédagogique, Espace Cesame

Intervention en table ronde sur le thème Les enjeux de la médiation et de la formation, comment susciter le désir de culture? aux Rencontres de la culture et du coeur, à Bezons le 29 novembre 2007.

« Les jeunes que nous recevons ont entre 16 et 25 ans. Ils sont souvent orientés par les Missions Locales et viennent chez nous pour un temps d’accompagnement spécifique avant de s’engager dans le parcours d’insertion. Avec eux, nous avons beaucoup réfléchi à cette question « comment susciter l’envie ? ».

La méthodologie que nous avons développé, c’est d’abord de passer par le faire c’est-à-dire de pratiquer. La rencontre avec les artistes, c’est essentiel. Ce n’est pas l’éducateur spécialisé, même s’il est talentueux, ou l’animateur qui, même s’il est formé à une pratique amateur, peut apporter l’univers et la richesse que l’artiste va amener.

Nous organisons des ateliers et nous proposons un accompagnement individualisé avec ces jeunes pour travailler sur tous les freins qui entravent le parcours d’insertion : le logement, la santé, l’endettement, les problèmes judiciaires, etc. Nous disposons également d’un pôle pédagogique axé autour de quatre grands domaines : le sport, la culture générale, le technique et l’artistique. Pour nous, le champ artistique fait partie complètement intégrante du parcours de formation que l’on propose aux jeunes.

Quand nous faisons de l’artistique, nous le faisons systématiquement avec des artistes « légitimes ». Je m’explique. Le plus important pour nous quand nous recrutons nos formateurs, c’est qu’ils soient d’abord légitimes en tant qu’artiste dans leur domaine. Par exemple, le prof de théâtre était prof au conservatoire. Par ailleurs, nous avons la chance de travailler avec le Théâtre 95 où nous faisons nos cours de théâtre. Le Théâtre 95 nous prête une salle tous les mardis après-midi. Et ça aussi c’est important. Nous ne faisons pas du théâtre dans une salle de cours, entre soi, avec des jeunes en difficulté, stigmatisés. Nous ne faisons pas non plus de théâtre pour instrumentaliser cet art vivant en disant « oui tu vas faire du théâtre comme ça tu vas pouvoir mieux te présenter à l’employeur, tu vas apprendre à parler, etc. » Non. Nous faisons du théâtre parce que le théâtre ça vaut le coup d’être vécu et d’être fait. Ce n’est pas du tout de l’instrumentalisation. Et le fait de passer par la pratique, ça permet d’engager une dynamique.

Certains jeunes qui participent à ces ateliers sont complètement séduits par l’artiste. Mais, il faut que l’artiste ait envie aussi. C’est important parce qu’il y a des artistes qui n’ont pas forcément envie. Il faut avoir envie de rencontrer ce public. Il faut à la fois quelqu’un de légitime et quelqu’un qui souhaite partager ces séquences qui sont parfois difficiles. Donc, c’est un artiste qui a envie, qui le témoigne et ça fonctionne bien : les jeunes apparemment n’aiment pas trop le théâtre et pourtant ils sont vingt tous les mardis. Nous aurons bientôt une salle qui ne sera pas assez grande. C’est la rencontre avec les artistes qui va primer au départ. Et tout d’un coup, ils aiment le théâtre. Tout d’un coup, ils deviennent curieux. Là, ça devient extrêmement facile de les amener au théâtre.

Il est vrai qu’en Mission Locale, vous recevez les jeunes individuellement. Ils font une démarche individuelle pour venir rencontrer un conseiller et demander du soutien pour leurs démarches administratives vers l’emploi, etc. alors que dans notre structure, nous accueillons également des jeunes individuellement mais ils font partie d’une promotion et du coup on recrée le groupe. Et le groupe est important pour susciter l’envie. On ne va pas au théâtre tout seul. Enfin moi, je n’irai pas au théâtre seule. Je ne sais pas si vous, vous allez au théâtre tout seul. On va au théâtre parce que c’est une rencontre, c’est de la culture générale, ce sont des ouvertures. On apprend à réfléchir, on s’ouvre, on se libère. Mais c’est aussi un moment convivial.

Ma collègue, Séverine, disait que ce qui fonctionne bien pour aller au théâtre, c’est d’abord quand nous nous retrouvons autour d’un café. A ce moment-là, nous choisissons le spectacle et après nous y allons. Il y a vraiment cette dimension conviviale. En effet, quand nous présentons un spectacle aux jeunes, quand nous leur disons « tiens on va aller voir tel spectacle de danse, de théâtre, de chant, de musique, etc. ». Avant de nous demander « c’est quoi ? », ils nous demandent « qui vient ? ». L’avant et l’après sont aussi importants que le pendant. Et pour autant, ça ne dévalorise pas l’oeuvre artistique parce que ça les imprègne et ils en reparlent des fois longtemps après. Il faut laisser le temps.

Nous ne faisons pas du tout d’étude de texte. Nous n’allons pas au musée pour ensuite avoir un cours théorique sur telle ou telle chose. Nous ne faisons pas ça. Nous leur faisons confiance, nous les laissons s’approprier les oeuvres, les portes ouvertes, les réflexions, etc. et ça ressort tout le temps. Ils savent s’approprier les choses et les ressortir au moment où il faut. Avant de travailler pour Césame, j’étais en prévention spécialisée à la Sauvegarde. Nous parlions avec ma collègue des effets observés sur les jeunes. Tout à l’heure, j’ai entendu dire que les théâtres sont des lieux sacralisés et qu’il faut les désacraliser et je ne suis pas tout à fait d’accord. Ce sont les jeunes qui m’ont appris que c’est justement parce qu’ils sont sacralisés qu’ils ont tant d’importance pour eux.

Au début, en tant qu’éducatrice spécialisée, je devais encore être coincée dans la lutte des classes et je me disais que j’allais aborder l’artistique avec le cirque, le théâtre de rue parce que ce sont des artistes qui militent et qui vont vers le public. Je l’ai fait. Et les jeunes sont venus et puis ce sont eux qui m’ont dit « Ouais mais tes trucs dans la rue ça va bien mais pourquoi on va pas dans le beau théâtre là ». Et c’est grâce à eux que j’ai compris que c’est justement parce qu’elles sont sacralisées que les institutions culturelles deviennent importantes et leur apportent du capital, de la valorisation. En prévention, ils sont encore scolarisés et ils savent très bien ensuite aller frimer devant leur prof de français et donc cela transforme leur rapport à la culture et cela transforme aussi le regard des enseignants sur ces élèves qui sont des « mauvais élèves » qui ne savent pas quoi faire. Nous avions accueilli un jeune qui avait connu une remontée spectaculaire de ses résultats scolaires au troisième trimestre parce qu’il avait participé au travail d’une petite compagnie d’échasses, qu’il avait fait des spectacles et qu’il était allé en voir.

Tout à l’heure, une personne qui veut devenir éducatrice est intervenue. Bienvenue dans le métier ! Elle disait que les populations que nous accueillons ne sont pas si résistantes que cela finalement. Je suis d’accord. Je crois que nous le sommes beaucoup plus qu’eux, je crois que nous nous créons beaucoup plus de problèmes que eux n’en ont. Par exemple, le dernier groupe que nous avons accueilli sur l’Espace Césame était constitué de jeunes qui ne sont pas prêts pour suivre une formation. Ce sont tous les retardataires, ceux qui ont des problèmes judiciaires, ceux qui ont un gros complexe par rapport à l’école. Alors, avec eux on se dit a priori qu’il faut surtout instaurer une rupture avec les méthodologies scolaires, le crayon, le papier, etc. Et en fait, ils n’arrêtent pas de nous les redemander. Quand on fait de l’art plastique, ils nous disent « ça c’est pas sérieux, c’est de la pâte à modeler c’est comme en maternelle ». Ils veulent des papiers, des crayons. Ils veulent que nous les prenions au sérieux. Ils veulent que nous imaginions que malgré le retard scolaire, malgré l’illettrisme, ils sont tout à fait capables de réfléchir.

La dernière chose que je voulais dire, c’est l’anecdote de ma collègue Séverine autour des choix des spectacles qu’elle propose aux jeunes qu’elle accompagne. Une personne d’un théâtre est venue présenter la plaquette et a dit « alors ce spectacle c’est un peu intello, c’est pas pour vous mais par-contre celui-là il y a du hip-hop ». Et bien les jeunes « bingo » ils ont choisi le spectacle intello. Donc, il ne faut pas préjuger de leurs capacités et de leurs goûts. »

Rachel Tanguy: r.tanguy@espace-cesame.org

Fred

Rédacteur

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